Quand Garry Conille a été sélectionné à l’unanimité des membres du Conseil présidentiel de transition (CPT) pour devenir le Premier ministre de la transition le 3 juin 2024, je me suis mis à relire : « Garry Conille ou le passage d’un météore» du docteur Rony Gilot, décédé le mercredi 6 octobre 2021. Publié en avril 2012 dans sa collection « Au gré de la mémoire », cet ouvrage est un témoignage à chaud de l’auteur sur la conjoncture politique qui prévalait en Haïti durant la période allant de juin 2011 à février 2012. Garry Conille a été nommé Premier ministre d'Haïti le 5 septembre 2011 par le président Michel Martelly. Il a été approuvé à l'unanimité à la Chambre par les 89 députés présents le 16 septembre 2011 et confirmé le 4 octobre 2011 au Sénat par 17 voix sur 29 (3 contre et 9 abstentions). Il allait entrer en fonction le 18 octobre 2011.

Rony Gilot était le directeur de cabinet du Premier ministre Conille qu’il présentait comme « porteur de toutes les promesses de succès, mais gêné à toutes les entournures sur le chemin de la performance ». Gêné notamment par le président Michel Joseph Martelly, certains de ses ministres et parlementaires les plus proches, selon le récit. Garry Conille a dû démissionner quatre mois plus tard, le 24 février 2012, même s’il était resté en fonction jusqu'à l'investiture de son successeur, Laurent Lamothe, le 16 mai 2012.

« L’homme de génie est un météore destiné à bruler pour éclairer son temps », cette citation de Napoléon Bonaparte a été reprise par le Dr Rony Gilot juste après le titre du livre. On voyait clairement qu’il présentait le Dr Garry Conille comme un génie, un véritable météore. De façon moins imagée, un météore est un objet qui se consume entièrement en entrant en contact avec l'atmosphère de la terre. Plus couramment en Haïti, on appelle un météore une étoile filante.

Rony Gilot était un grand ami de la famille Conille. Il avait vu grandir Garry qui lui avouait quand il avait dix ans : « Docteur Gilot, quand je serai grand, je veux être un médecin-chirurgien, comme toi.» Son père, Serge Conille, a été médecin et sa mère Marie-Antoinnette Darbouze, pharmacienne. Garry Conille, selon Rony Gilot, aurait hérité de son grand-père Beauséjour Conille, « juriste incorruptible et d’une probité absolue », son entregent, son humanisme, un respect absolu des gens, des institutions et surtout de la parole donnée, lit-on à la page 11.

Rony Gilot présentait donc à la population haïtienne un Garry Conille au parcours professionnel exceptionnel, bien ancré aux valeurs d’éthique et de travail acharné dans lequel il aurait été bercé dès son enfance. Médecin-gynécologue, il est également détenteur d’une maîtrise en politique et administration de la santé de l'université de Caroline du Nord à Chapel Hill (États-Unis).

À travers ses 216 pages, Rony Gilot dépeint Garry Conille comme un génie qui aurait pu changer le cours de l’histoire d’Haïti, s’il n’avait pas été perturbé par le président Martelly et son entourage. Pour assoir son pouvoir, confirme Rony Gilot, Garry Conille se mettait patiemment à la tâche de conquérir les cinq grands cercles de pouvoir de l’époque : les parlementaires, le secteur des affaires, les partis politiques, la communauté internationale et la presse. Son rapprochement avec ces secteurs aurait fait sourciller le palais national, une sorte de popularité dérangeante, selon l’auteur.

Mais il existait aussi des intrigues au sein de la primature également. Lisons le début de la page 79 : « Un jour, le Premier ministre demande à son chef de cabinet de préparer un communiqué pour la presse sur un sujet précis. En quinze minutes, la note est prête pour diffusion. Toute une kyrielle d’intrigants défilent au bureau : « Garry, réclament-ils en employant bien le prénom pour montrer le degré de familiarité, nous a demandé de revoir le texte. Il a dû certainement le leur dire pour se débarrasser d’eux et apaiser leur obsession à se mettre en valeur». Le groupe d’intrigants a été prié d’aller se faire voir ailleurs, car, soutient Rony Gilot, cela s’assimilait à un gaspillage stupide de compétence que cinq ou six docteurs ès lettres composent et revoient une petite note de presse de cinq lignes. Le plus zélé du groupe d’intrigants avait alors choisi de faire des représailles « en embauchant des mercenaires pour bombarder les murs de la rue des casernes de slogans et graffitis désobligeants» envers le directeur de cabinet et certains de ses collaborateurs.

De son premier mandat, on retient surtout l’affaire Arnel Bélizaire, député en fonction qui a été victime d’une tentative d’arrestation du ministre de la justice d’alors, Josué Pierre-Louis. Cette tentative avait soulevé la colère et l’indignation de la Chambre des députés qui voyaient dans cet acte la main du président Martelly et de ses ministres les plus fidèles. Rony Gilot avait mis aussi l’accent sur « le séisme des contrats du tremblement de terre » que le Premier ministre Conille avait demandé de renégocier. Autant de dossiers qui avaient débouché sur un conflit ouvert entre le Premier ministre Conille et le président Martelly qui va conduire à sa démission inéluctable.

Pour beaucoup d’observateurs d’alors, Garry Conille était une victime. Le méchant du film était l’irréductible président Martelly et son entourage. Pour Rony Gilot, c’est comme une étoile qui avait filé et que le pays avait raté une chance inouïe. Cette chance semblait alors présenter une nouvelle fois le 3 juin 2024 quand Garry Conille a été choisi par le CPT. Cette fois-ci, contrairement à son premier passage à la primature, il va avoir le plein pouvoir avec tous les ministères régaliens : le ministère de la Justice et de la Sécurité publique, le ministère de l’Économie et des Finances, le ministère de la Planification et de la Coopération externe, le ministère des Affaires étrangères et des Cultes ainsi que le ministère de l’Intérieur et des Collectivités territoriales.

Garry Conille version 2024 avait en partie les moyens de sa politique. Évidemment, dans un contexte beaucoup plus difficile que celui de 2011 avec notamment la prédominance des gangs armés. Mais quand on a les pleins pouvoirs, on a une exigence de résultat. Et le premier domaine à l’épreuve était celui du rétablissement de l’ordre et de la sécurité publique. Là où ses prédécesseurs avaient piteusement échoué. Durant ses cinq mois à la primature en 2024, Garry Conille ne peut revendiquer aucune victoire significative pour le pays. Il peut toujours prétendre que le temps était trop court, mais il n’y a pas eu de signaux clairs qui montraient que la situation allait s’améliorer s’il restait encore en place un an ou deux. Le règne du Premier ministre Ariel Henry a prouvé que plus de temps ne donne pas nécessairement plus de résultat.

Si le Premier ministre Garry Conille n’était pas revenu au pouvoir, tout le monde aurait eu en tête le météore décrit par Rony Gilot. Son conflit avec le CPT ressemble à celui qu’il avait tissé avec le président Martelly, comme pour inférer qu’il est plutôt un personnage conflictuel. Ses deux passages à la primature ont abouti au même résultat : sa chute spectaculaire. Cette fois-ci, même si Rony Gilot était vivant, il lui aurait été difficile de parler d’un météore. Ce deuxième passage à la primature ressemble plutôt à celui d’une météorite, ce type de corps solide, rocheux ou ferreux qui atterri sur la surface sans briller. En 2024, on voit un Garry Conille très différent du génie présenté par Rony Gilot. Le CPT lui reproche son arrogance, son inefficacité, voire son incompétence. Et comme en 2012, le pays n’a rien profité de son passage à la primature. Son successeur, Alix Didier Fils-Aimé fera-t-il mieux? Attendons voir.

Thomas Lalime

thomaslalime@yahoo.fr

Garry Conille, du météore à la météorite

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