Immigration haïtienne en République dominicaine: Mourir dans l'attente d'une pension

Ilek Santiago est mort dans le dénuement, sans retraite ni assurance maladie.

Le Nouvelliste
Par Le Nouvelliste
07 juin 2024 | Lecture : 4 min.

Ilek Santiago est mort dans le dénuement, sans retraite ni assurance maladie. Il avait 73 ans, dont 56 passés en République dominicaine, où il avait immigré depuis Haïti pour une vie misérable dans la canne à sucre.

La plupart des "caneros" dans le pays sont des Haïtiens sans papiers. Ils cotisent cependant à la sécurité sociale dans l'espoir de bénéficier du système de santé et d'une retraite, mais Ilek Santiago est mort d'un cancer de la prostate non traité.

"Il a fait une demande de retraite en 2013 et rien, on ne lui a pas accordé sa retraite comme aux autres travailleurs de la canne", explique à l'AFP Jesus Nunez, dirigeant du syndicat Union des travailleurs de la canne (UTC), dont Ilek Santiago était membre.

"Il aurait pu tenir un peu plus longtemps, mais il n'avait pas d'assurance maladie", souligne M. Nunez, dépité.

L'UTC organise depuis des années des manifestations pour réclamer le paiement des retraites de plus de 1.600 travailleurs de la canne à sucre. Sollicitées, les autorités n'ont pas répondu à l'AFP sur le sujet.

Ilek Santiago était le représentant de l'UTC dans 14 "bateyes", ces campements précaires, sorte de bidonvilles à la campagne, où vivent les caneros souvent sans électricité ni eau courante.

Deux semaines après son décès dans sa petite demeure du batey de Bayaguana (Monte Plata, est), ses proches se réunissent pour une prière. Deux nappes blanches ont été suspendues en guise de rideaux aux fenêtres d'une pièce minuscule. Les "murs" sont en carton et bois, le toit en zinc, le sol en terre battue.

"Repose en paix"

Deux photos de lui sont posées sur une table en plastique, autel improvisé : "Ta famille et tes amis ne t'oublieront jamais", "Repose en paix", sont quelques-unes des phrases qui accompagnent les images où il apparaît souriant.

Au milieu des sanglots des enfants et petits-enfants du défunt, un pasteur évangélique dirige les prières.

"Sans travailleurs de la canne à sucre, pas de sucre", peut-on lire sur la casquette portée par certains membres de l'UTC, qui ont appelé à manifester en juin devant le palais national, siège du gouvernement, pour réclamer le respect de leurs droits.

La canne à sucre est une industrie traditionnelle de la République dominicaine qui exporte sucre et rhum.

La main-d'œuvre est en grande partie composée d'Haïtiens ou de leurs descendants, une situation qui remonte à l'époque du dictateur Rafael Trujillo (1930-1961), qui encourageait l'embauche de main-d'œuvre de son voisin.

Ces journaliers passent des années à travailler environ 70 heures par semaine pour, dans les meilleurs cas, un salaire de 10 dollars par jour.

Lorsque les travailleurs de la canne ont commencé à arriver, ils étaient inscrits dans un registre différent du registre officiel. Ils recevaient une "fiche", qui n'était qu'une preuve d'emploi mais pas un visa ou une carte de séjour. Mais leur régularisation et celle de leurs descendants devient de plus en plus difficile.

"Je vis la misère" 

En 2013, une décision de justice a retiré la nationalité à quelque 250.000 Dominicains nés entre 1929 et 2010 de parents étrangers, pour la plupart originaires d'Haïti.

L'exploitation des champs de canne à sucre représente 2% du PIB dominicain, bien que les États-Unis, principal partenaire commercial, ont restreint les importations en raison d'allégations de travail forcé et de travail des enfants.

Le président Luis Abinader, réélu pour un second mandat le 19 mai, avais promis la "justice" lors de son arrivée au pouvoir en 2020, mais il "n'a pas tenu ses promesses", déplore M. Nunez.

Abinader est populaire pour sa posture dure à l'égard des Haïtiens. Il doit une grande partie de sa réélection à sa politique anti-immigration avec la fermeture partielle des frontières, les coups de filet contre les clandestins, les expulsions (250.000 en 2023) et la construction d'un mur entre les deux pays qui se partagent l'île d'Hispaniola.

Quelque 3.700 caneros haïtiens ont obtenu une retraite pour leur travail par le passé. Mais Telmi Confidente, par exemple, a cessé de la recevoir en 2014, sans explication.

"Je vis la misère", dit cet homme arrivé en République Dominicaine en 1969 et qui est aujourd'hui incapable de retourner dans les champs de canne, en raison de sa santé.

Dans l'attente d'une retraite peu probable, il dépend de ses enfants. "Sinon, je serai raide mort depuis longtemps".

Bernat BIDEGAIN ROS/AFP