Pour sa première grande entrevue à l’espace Leslie Delatour, animée par notre confrère Kesner Pharel sur Radio Métropole, le 2 janvier 2024, le nouveau gouverneur de la Banque de la République d’Haïti (BRH), Ronald Gabriel, a exposé sa vision pour son mandat à la tête de la banque des banques. L’émission, qui en est à sa 30^e édition, a été réalisée au Centre de Convention et de Documentation Antonio André au siège social de la BRH, à la place Geffrard, au centre-ville de Port-au-Prince. À une certaine époque, rappelle M. Pharel, toutes les grandes banques commerciales se retrouvaient dans cette sphère qui était considérée comme le centre financier du pays. Mais aujourd’hui, à cause l’insécurité traumatisante que connait le pays, la BRH et la Banque nationale de crédit (BNC) demeurent les dernières à y rester afin de maintenir une étincelle d’espoir dans une possible opération de récupération de la zone.

Entre autres priorités, le nouveau conseil d’administration de la BRH compte contribuer à mettre en place les conditions de reprise de la croissance économique, revisiter l’Agenda monétaire pour la croissance et l’emploi en mettant l’emphase sur les PME comme vecteur important de croissance et création d’emplois, renforcer le cadre de « policy-mix » avec les autorités fiscales en vue de continuer avec la bonne gestion des finances publiques visant à assurer la stabilité (et non la fixité) du taux de change et être proactif en intervenant sur le marché quand il s’avère nécessaire. M. Gabriel annonce la création prochaine d’une nouvelle structure chargée du développement du marché financier en Haïti.

Le gouverneur admet que le centre-ville de Port-au-Prince devient un environnement extrêmement difficile. Mais il considère la présence de la BRH comme un symbole d’espoir et un incitatif pour de potentiels investisseurs, parce qu’en général, le centre-ville de tout pays représente une attraction touristique et un espace commercial très convoité. Pour M. Gabriel, c’est un signal fort de la banque centrale qui veut transmettre le message qu’avec un environnement plus sécuritaire, des investisseurs pourraient y revenir poursuivre leurs activités.

Ronald Gabriel a profité de sa première grande entrevue du Nouvel An pour adresser ses vœux les meilleurs au grand public, aux 944 employés des 22 directions et unités de la BRH ainsi qu’à tous les agents économiques et financiers. À tout ce beau monde, il souhaite une année 2024 prospère, dans un climat de sécurité et de cohésion où l’économie haïtienne pourra enfin renouer avec la croissance économique, après cinq années consécutives de contraction du produit intérieur brut (PIB).

Qui est Ronald Gabriel?

Ronald Gabriel a été invité par Kesner Pharel à se présenter au grand public. Le nouveau gouverneur atteste qu’il détient un diplôme d’études supérieures spécialisées en économie quantitative du Centre de techniques, de planification et d’économie appliquée et une maitrise en sciences économiques de l’Université de Montréal. Il poursuit des études de doctorat en économie du développement à l’Institut des sciences, des technologies et des études avancées d'Haïti (ISTEAH).

Au cours de ses 33 années de carrière à la BRH, il a apporté, dit-il, une contribution significative à plusieurs niveaux. Parmi ses principales réalisations, il cite le Fonds BRH pour la recherche et le développement (FRD-BRH), l’Agenda monétaire pour la croissance et l’emploi qui sert, depuis sept ans, de cadre de référence pour les politiques, interventions et actions de la banque centrale ainsi que l’initiative de monter un cours d’économie à l’intention des journalistes. Il considère ces derniers comme un important relais de la bonne information économique et financière, aidant ainsi à réduire les méfaits de l’asymétrie de l’information dans la prise de décision optimale par les agents économiques.

L’enchainement logique de l’animateur de l’émission à la suite de la présentation du Gouverneur a été : Comment conduire la politique monétaire dans un environnement aussi difficile qu’Haïti? Il s’agit d’une mission difficile, concède M. Gabriel, même si ce n’est pas propre uniquement à la BRH. Et malgré des avancées positives dans l’amélioration du cadre macroéconomique global de ce dernier semestre, fait remarquer Kesner Pharel, cela n’a pas empêché l’économie d’enregistrer cinq années consécutives de croissance économique.

Ronald Gabriel admet qu’il existe de nombreuses contraintes à l’efficacité de la politique monétaire, et particulièrement à l’extension du crédit. Ce dernier reste en grande partie concentré au niveau du secteur commercial qui, malgré son poids significatif dans la composition du PIB, ne contribue pas véritablement á l’accumulation de richesses. Le gouverneur souligne que les marges réalisées par ce secteur, n’étant pas le résultat d’un processus de transformation, ne peuvent pas conceptuellement être analysées comme étant une valeur ajoutée.

Arbitrage délicat entre croissance économique et stabilité des prix

Avec l’Agenda monétaire pour la croissance et l’emploi, poursuit-il, les banques commerciales peuvent se refinancer auprès de la BRH pour financer des programmes et projets à fort potentiel de création de valeur ajoutée, susceptibles d’augmenter le taux de croissance économique. Environ 17 milliards de gourdes de crédit ont été allouées aux secteurs productifs à travers ce programme, mais les résultats n’ont pas été à la hauteur des attentes à cause notamment d’un environnement des affaires et sécuritaire non favorable.

Sur la poursuite des objectifs de stabilité, la banque centrale fait un arbitrage délicat entre la stabilité des prix et le financement de la croissance économique, vu que le resserrement des conditions monétaires a en général un impact restrictif sur le crédit. Pour y parvenir, M. Gabriel mise sur une bonne cohésion entre les politiques budgétaire et monétaire permettant, à travers le pacte de gouvernance conclu entre la BRH et le ministère de l’Économie et des Finances (MEF), de limiter le creusement du déficit budgétaire et son financement monétaire.

Qu’en est-il de l’influence politique dans la détermination de la politique monétaire conduite par la BRH? Le gouverneur confirme qu’il y a un cadre règlementaire préétabli entre la BRH et le MEF qui permet à la banque centrale de financer le déficit budgétaire à un niveau raisonnable qui puisse maintenir la variation des prix à un niveau compatible avec la stabilité macroéconomique. Il précise qu’un important effort est réalisé en ce sens, en matière de gestion des finances publiques. Le financement monétaire est passé de 49 milliards à la fin de l’exercice fiscal 2021-2022 à 17 milliards de gourdes à l’année suivante, un contrôle du financement monétaire qui a contribué à une baisse du taux de change et du rythme d’accroissement des prix dans l’économie. La BRH, poursuit le gouverneur, a mis en place, de concert avec le MEF, un cadre opérationnel qui facilite la prévision des dépenses publiques, en anticipant le niveau de financement monétaire pour pouvoir mieux intervenir.

Thomas Lalime

thomaslalime@yahoo.fr

Ronald Gabriel, nouveau gouverneur de la BRH, expose sa vision

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