Ricardo Seitenfus[1]

Est décédé à un âge avancé, le 7 juin à Rio de Janeiro, l’ancien Secrétaire général de l’Organisation des États Américains (OEA), le diplomate brésilien João Clemente Baena Soraes.

De petite taille, des yeux rieurs, imprégné d’un humour sans faille et des réparties coupantes, il fût à la tête de l’OEA pendant une dizaine d’années (1984- 1994). Une période cruciale des relations internationales avec la fin de la Guerre Froide. Également à un moment tendu de l’histoire haïtienne et il a joué un rôle critique de premier plan.

Passablement acide et laissant souvent de côté la langue de bois diplomatique, pour Baena Soares il ne faut pas trop se faire d’illusions sur les promesses démocratiques soutenues par les gouvernements des pays dits amis d’Haïti. Ainsi, par exemple, l’Opération Uphold Democracy entre septembre 1994 et mars 1995 et autorisée par la Résolution 940 du Conseil de Sécurité des Nations Unies. Présentée comme l’expression de la nouvelle doctrine de « défense de la démocratie » mise en avant par Washington afin de justifier son intervention militaire en Haïti, elle doit être perçue avec précaution :

« Ce qui a résolu la situation d’Haïti, c’est la migration dudit boat people. L’exode des Haïtiens vers la côte de la Floride a énormément augmenté, les Américains y ont été sensibles, et l’intervention militaire a suivi. Je le dis et je le répète, les Américains n’ont pas défendu la démocratie, ils ont défendu la côte de la Floride, c’est pour cela qu’ils sont allés en Haïti. Résultat, Aristide est revenu. »[2]

J’ai eu trois occasions d'avoir à faire directement avec Baena Soares. D’abord, en avril 1993 lorsque je suis venu en Haïti, pour la première fois, dans le cadre de la Mission Civile Internationale en Haïti (MICIVIH). Tombé malade après quatre semaines, j’ai été rapatrié d’urgence au Brésil. Alors le Secrétaire Général de l’OEA m’a demandé de rédiger un rapport académique sur la crise haïtienne. D’où est né, l'année suivante, le premier livre publié au Brésil sur le pays (Haïti, la souveraineté des dictateurs).

Ensuite, à la fin 2008 lorsqu’il me remplace comme membre brésilien du Comité Juridique Interaméricain (CJI) de l’OEA, car je venais d’accepter l’invitation pour représenter l’organisation en Haïti.

Enfin, lors de la crise post-électorale haïtienne de fin 2010, début 2011. Avec l’accord de René Préval et de Jean-Max Bellerive nous avions décidé à Port-au-Prince d’inviter des personnalités pour constituer un Groupe les amis d’Haïti et exercer un rôle de médiateurs dans la crise. Les personnes envisagées étaient : Michelle Bachelet (ancienne présidente du Chili), João Clemente Baena Soares et Lionel Jospin (ancien premier ministre socialiste français qui avait participé à des missions en Haïti dans le cadre du Club de Madrid).

Sans que je le sache, la veille à Washington le Core Group local avait également suggéré de créer un Groupe d’amis selon le modèle proposé par Préval. Il n’en fallut pas plus pour être interprété cela comme une manœuvre pour garantir sa survie.

Les États-Unis ont fait marche arrière et mis en doute l’utilité de la formule du Groupe d’amis. À partir de cette volte-face, il n’était plus possible de parler de médiation. Consulté, le Quai d’Orsay s’y est opposé et a interdit le financement éventuel de l’Union européenne au Club de Madrid pour une telle mission.

A cette occasion le Club de Madrid montre son vrai visage : un simple outil d’instrumentalisation de la politique étrangère de certains pays de l’Europe occidentale.

Michelle Bachelet, quant à elle, malgré le fait que son Chili avait participé activement dès 2004 de l’imbroglio haïtien, décline d’y participer.

Tout un autre son de cloche avec Baena Soraes. Contacté par l’Ambassadeur Igor Kipman, il accepte sans hésitation :

« À vos ordres mon commandant ! Comme vous le savez, je suis à la retraite. Néanmoins toujours disponible et actif pour aider Haïti. »

Malheureusement la formule n’a pu être mise en œuvre car il ne restait que le solitaire Baena Soares. Alors, est appliquée la norme haïtienne traditionnelle pour en finir avec la crise. La solution de force s’impose. L’habitude de côtoyer les constantes crises politiques haïtiennes, amène l’International à faire sienne leur façon de les résoudre.

À la suite des ultimes pressions exercées par Hillary Clinton, les résultats du premier tour de la votation présidentielle de novembre 2010 sont modifiés.

On connaît la suite. Les malheurs politiques, administratifs, économiques, sanitaires, sécuritaires jusqu’au magnicide du Président Jovenel Moïse. Aujourd’hui le pays se trouve dans un cul-de-sac.

Lorsque le paysan haïtien reçoit chez lui un invité, il le salue ainsi : « Honneur !» Le visiteur lui répond : « Respect !» Comme il est démontré à satiété par l’Histoire des peuples, quand il n'y a plus ces principes, rien de solide et durable ne peut être construit.

De même que le paysan, les diplomates en poste à l’étranger sont des invités du pays hôte. Et, comme tout invité, ils doivent suivre un certain nombre de règles de bienséance, à défaut d’observer les principes des relations diplomatiques. À commencer, évidemment, par le respect. Malheureusement on est vraiment à des années-lumière de la réalité diplomatique à Port-au-Prince de ces dernières décennies.

Parmi les nombreuses leçons diplomatiques et politiques laissées par Baena Soares se détache l’idée que tous méritent à être respectés. Surtout les faibles dans leurs rapports avec les puissants. Alors, voyage tranquillement et en paix, véritable ami de la démocratie haïtienne !

[1] Représentant spécial de l’OEA en Haïti (2009-2011), auteur entre autres livres, de Les Nations Unies et le choléra en Haïti : coupables mais non responsables ? et de L’échec de l’aide internationale à Haïti : dilemmes et égarements, tous les deux publiés par C3 Éditions. Ces livres sont disponibles également en anglais, espagnol et portugais.

[2] BAENA SOARES, João Clemente, Sem medo da diplomacia, CPDOC, Fundação Getúlio Vargas, Rio de Janeiro, 2006, p. 86.

Ricardo Seitenfus: honneur et respect au diplomate João Clemente Baena Soraes

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