C’est à cette interrogation assez pertinente qu’a tenté de répondre le professeur Joseph Harold Pierre, qui intervenait à la première journée de la 13e édition du Sommet international de la finance axé autour du thème « Financer l’ÉCO2 Développement : l'économie et l'écologie ». D’entrée de jeu, l’intervenant a reconnu l’aspect fondamental de cette question cruciale dans la quête d’une solution viable à la crise du dérèglement climatique.

Cette question, selon le professeur Pierre, peut être située dans un espace-temps bien défini compris entre 1987, l’année où a été rédigé le Rapport Brundtland par la Commission mondiale sur l'environnement et le développement de l'Organisation des Nations unies, et 1990, l’année où a eu lieu une conférence de la Banque mondiale au cours de laquelle l’institution a préconisé la façon de concilier les objectifs locaux et de court terme avec des objectifs globaux et de long terme.

Ces deux évènements réalisés il y a plus d’une trentaine d’années peuvent être assimilés à deux gros objectifs assez récents, à savoir les Objectifs du développement durable (ODD 2015-2030) et le 26e Sommet sur le changement climatique, tenu à Paris en 2021. « En contextualisant cet évènement aujourd’hui, on peut déterminer sa grande importance pour le monde, dans un premier temps, et pour Haïti dans un second temps, a indiqué l’économiste Harold Pierre.

Avant de répondre à la question principale, l’intervenant a tenu à définir les deux termes. L’écologie, selon sa définition la plus simple, c’est l’étude de l’environnement. Mais dans le sens grec du terme, c’est l’étude de la maison, des matériaux et éléments qui la composent. Alors que l’économie se définit comme étant la manière de gérer la maison, l’habitat.

Ce sont deux termes qui devraient être en parfaite harmonie, estime le conférencier. « Malheureusement, au cours de l’évolution de ces deux sciences, elles ont pris des directions contraires. Notre objectif à nous aujourd’hui c’est d’essayer de concevoir une possibilité de les concilier ».

Le problème qui se pose avec l’économie, c’est qu’elle se fixe un seul objectif : la croissance. Cette croissance trouve sa base dans une série d’hypothèses irréalistes à certains égards, souligne l’économiste Harold Pierre, qui justifie ses propos à l’aide d’exemples.

Par exemple dans l’économie, l’allocation des ressources doit être efficiente, bénéfique. Cette idée est vraie seulement pour les biens communément appelés les biens rivaux; ce sont des biens se rapportant exclusivement au privé. Cependant, dans la vie, on n’a pas toujours besoin d’acheter pour satisfaire certains besoins ou pour avoir certains services. Pour les biens publics comme les rivières, la mer, les places publiques, etc., les théories et hypothèses économiques ne tiennent pas la route, a fait remarquer le professeur

Il y a une kyrielle d’aspects négatifs attachés à la croissance économique, soutient M Pierre, citant en exemple beaucoup d’industries très prospères qui jettent leurs eaux usées dans les mers ou les rivières. Tandis que, poursuit-il, l’écologie voit le monde dans une autre dimension. D’après la pensée écologique, la croissance est nécessaire mais elle doit viser une distribution juste des ressources. Par exemple, on ne doit pas utiliser toutes les eaux disponibles sur la surface de la terre à des fins de croissance économique pendant que d’un autre côté, certaines populations connaissent des pénuries d’eau qui menacent leur existence. Les ressources doivent être utilisées en fonction des nécessités.

« Les défenseurs de la croissance économique pèchent en pensant que la croissance ne doit pas avoir de limite. Les lois naturelles fixent une limite à toute chose. De même qu’un enfant ne peut grandir indéfiniment, la croissance économique, la richesse ne saurait être indéfinie. C’est en tenant compte de cette limite qu’on peut penser la conciliation entre l’écologie et l’économie » a déclaré le politologue.

« Quand la communauté aura atteint un niveau de croissance où tout le monde sera en mesure de satisfaire ses besoins, la tendance à la compétition farouche s’estompera au profit de la tendance à la coopération, la construction d’alliances stratégiques. C’est la première étape vers la conciliation de l’écologie et de l’économie », a-t-il souligné, rappelant que 85% des énergies consommées proviennent de l’énergie fossile, selon des données recueillies en 2020. Si on continue à maintenir une telle pression sur le fossile, il ne tiendra pas longtemps. D’où la nécessité de consommer avec modération cette énergie en cessant cette course vers la croissance à tout prix.

L'économiste n’a pas omis de mentionner le cas d’Haïti qui fait partie des petits pays insulaires à grand risque. « Notre situation risque d’être encore plus précaire quand les inondations provoquées par les pluies diluviennes se mêleront de la partie ; sans compter les vagues de chaleurs insupportables causées par les dérèglements climatiques.

Parmi les grands pollueurs qui agressent l’écologie, M. Pierre a énuméré le transport ; la question alimentaire qui mérite plus que jamais d’être débattue aujourd’hui à l’heure où l’agriculture, telle qu’elle se pratique dans les grands centres industrialisés, est responsable à 21% de la production des gaz à effet de serre.

A côté de ces éléments, il y a les sources d’eau, les forêts, la mer, toutes des ressources indispensables à la survie de l’homme qui sont également menacées par les changements climatiques. Tout cela constitue des facteurs essentiels pouvant nous convaincre de la nécessité de repenser la croissance en essayant de la concilier avec l’écologie.

La conciliation de l’écologie et de l’économie

Plusieurs stratégies ont été proposée pour arriver à cette conciliation. La première stratégie proposée est la technologie en vue de réduire les effets pervers de la croissance économique. Malheureusement cette proposition n’est pas fiable vu que la technologie a été conçue pour être au service de la croissance. Donc ce choix est vain.

L’autre stratégie proposée est un changement culturel qui obligerait tout un chacun à :

repenser sa façon de consommer ;
supporter les acteurs qui mènent la lutte contre la pollution, contre la croissance indéfinie;
participer à une série de programmes qui visent la protection de l’environnement.

A côté du changement de mentalité, il y a le changement institutionnel qui s’impose. C’est le rôle de l’Etat de commencer à monter des institutions qui assureront la promotion de l’environnement, de l’économie circulaire, du reboisement.

Si on ne le mesure pas on ne peut pas le changer. On ne peut pas le mesurer sans le compter. Pour mesurer l’économie, les experts se réfèrent au PIB. De la même façon qu’on parle de comptabilité nationale en référence à l’économie, dorénavant il va falloir commencer à comptabiliser les ressources naturelles pour se référer a l’écologie.

En résumé, pour concilier l’écologie et l’économie un changement culturel, un changement institutionnel avec un indicateur alternatif sont indispensables, conclut le professeur Harold Pierre, qui croit que dans l’état actuel de la situation alimentaire en Haïti, l’agriculture ne doit pas non plus être négligée dans ce processus de conciliation.

Cyprien L. Gary

Comment concilier économie et écologie ?

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