Les retombées directes de la commémoration
Cette célébration devait être un véritable festival national, une occasion unique de réaliser de différentes compétitions sportives et de manifestations historiques et culturelles. Elle devait remplir deux objectifs fondamentaux : être, pour les visiteurs comme pour les habitants de la ville, une précieuse leçon d’histoire, mais aussi, permettre de « réintégrer la ville du Cap-Haïtien, comme le grand centre touristique en Haïti ».
Pour concilier ces deux objectifs de nature très différente, on s’attendait à une exploitation intelligente de notre passé historique. On voit comment, à la base, les considérations idéologiques ou mémorielles auraient dû coexister avec des impératifs d’ordre économique.
Ce passe aurait dû mettre l’accent sur les liens historiques qui uniraient plus de la moitié des Capois disperses à travers le monde et sur l’importance de les mettre en lumière. Cette célébration devrait être ouverte sur le monde en vue d’attirer au Cap des touristes locaux et internationaux, mais aussi de rassembler sur la place publique et dans tous les recoins de la ville, les hommes et les femmes de toutes croyances et de toutes les couches sociales pour se glorifier mutuellement.
Elle devrait espérer également ramener au Cap les Anciens, c’est-à-dire les Capois éparpillés un peu partout sur le globe et se glorifier d’y être nés. Les organisateurs espéraient pouvoir favoriser la venue de touristes locaux, surtout des amis du Cap, par une campagne massive d’embellissement de la ville, mettant à l’ouvrage les milliers de chômeurs qu’a créés la crise économique.
Le contexte persistant de la crise oblige les élites commémorantes à réduire leur programme à l’essentiel. Mais ces restrictions paraissent insignifiantes par rapport aux bouleversements provoqués en Haïti par la situation politique. Après quelque temps d’hésitation et devant l’inaction des pouvoir locaux de l’appuyer, les organisateurs doivent se résoudre à une dissolution presque complète du programme, laissant la voie ouverte à une fête surtout religieuse : une messe basse.
De plus, cette commémoration devrait faire de l’anniversaire de la ville un tribut à notre jeunesse, au triomphe de la jeune génération sur l’oisiveté forcée qui l’opprime. Les sports, les aspects sociaux de l’histoire capoise et l’artisanat local sont également des thématiques qui devraient être privilégiées.
L’artisanat intéresse particulièrement la commémoration puisqu’il donne à la célébration un accent folklorique apprécié des touristes, tout en assurant des revenus aux artisans et aux entrepreneurs. Cet intérêt pour l’artisanat relèverait donc autant d’un opportunisme économique que d’un malaise plus général face au déraillement de l’économie industrielle et capitaliste.
Malgré un climat sociopolitique incertain et délétère à cause de la Covid-19, la commémoration de la célébration des 350 ans de la ville du Cap aurait pu mieux se passer. Majoritairement les membres de l’élite économique, politique et culturelle locale qui espéraient favoriser une relance dans leurs domaines respectifs ont été déçus. Les organisateurs avaient de quoi pour se croiser le fer sérieusement dans l’arène capoise et faire revivre les moments les plus palpitants de notre histoire.
Enfin, si on fait de cette célébration la commémoration des 350 ans de la ville du Cap, elle constitue de simples exercices identitaires de la part d’élites essayant d’imposer leur hégémonie aux classes populaires, c’est ignorer les autres fonctions de cette fête.
Elle représente à la fois un divertissement spectaculaire, un réveil et un enseignement historique sans précédent et une occasion de relancer ou de nourrir l’économie à travers le tourisme. De plus, même si plusieurs composantes de cérémonies sont fermées aux classes populaires, ils seront des centaines de milliers à participer aux festivités.
Tout au long de cette commémoration, les considérations idéologiques et identitaires n’entrent pas tant en concurrence les unes avec les autres qu’avec les impératifs matériels et économiques liés à l’organisation de telle célébration.
Fin
Islam louis Etienne
Août 2020
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