Islam Louis Étienne
À partir des années 1970, Bossu céda sa place à un autre groupe « Champwel, « conduit par Rony et Amyot. Ce groupe a conservé le même calendrier .Il avait pourtant une clientèle plus huppée et plus variée avec en majorité les professionnels de la ville qui se cachaient le visage en utilisant un drap blanc.
Champwel était un groupe prestigieux qui n’avait pas de parcours déterminé. Ils circulaient au gré de leur désir. Les oreilles des Capois n’avaient rien perdu de leur chasteté. Ses chansons étaient de véritables refrains historiques ou patriotiques avec quelques fragments sociaux, le plus souvent engagés, qu’on retrouvait sur toutes les lèvres.
Cette animation durait toute la nuit et prenait fin à l’aube de la journée du dimanche. Elle coïncidait avec l’heure où les fidèles catholiques se rendaient à la messe de quatre du matin et les balayeurs de rue commençaient à se mettre en activité de service.
Le dimanche matin après la messe de dix heures, on commença à recevoir les premiers signaux de ce que sera le reste de la journée en fait de théâtre, de couleur et d’animation. Certaines images de carnaval sont essentiellement capoises. Elles sont aussi originales que variées tant dans leurs conceptions que dans leurs réalisations.
Certaines images comme Toto la Maillotte,Ti Kok, la Bonne Nouvelle, les Bœufs ou Madigrakon, Vivi, abitan Zao, le groupe K, les échassiers ou jambes de bois, les Tresseurs de rubans, les Marchandes de feuilles ,Choucoune , Madame Larco, Gaspiya, les chars des orchestres, etc. demandent une très longue préparation et éventuellement une répétition. Chacun de ses secteurs représente une ruche bourdonnante d’activités, une véritable entreprise.
Les deux orchestres de référence de la ville ont toujours apporté leur contribution personnelle à cette manifestation. D’abord, ils composent chacun une méringue carnavalesque que les stations de radio roulent en boucle pour le plus grand plaisir de leurs fans en particulier pour qu’ils apprennent les paroles et pour la population en général. Cette meringue représente le sel qui donne de la saveur à l’ambiance. Ensuite, ils créent une animation tout azimut dans les rues de la ville. .
Apres le défilé du mardi gras, jour marquant la fin des festivités carnavalesques, on organisait une cérémonie symbolique au Champ de Mars ou on brulait tous les masques et déguisements (boulé mardigras) dans un grand boucan. La cerise sur le gâteau c’est la soirée dansante organisée un peu partout dans la cité pour clôturer les événements.
Les orchestres de référence évoluent dans leur Night Club respectif tandis que l’orchestre de Camille, sur demande de la mairie, animait un bal populaire au Marché Cluny pour les canavaliers de petites bourses qui ne peuvent aller ailleurs.
La tradition était toujours respectée .Le dernier vendredi précédant les jours gras était réservé aux étudiants. Pendant les trois gras les déguisements et les couleurs des orchestres étaient de rigueur. Le comité d’organisation accordait des primes aux meilleurs déguisements, aux meilleures meringues, etc.
Le secteur privé prenait une part active au défilé pour exploiter à bon escient la visibilité offerte par cette grande manifestation populaire. Le public capois participait de deux manières différentes aux festivités.
D’abord, certaines familles assistaient au spectacle devant leurs maisons. Ensuite, une marrée humaine faisait le spectacle soit comme acteur soit comme danseur.
Le souvenir le plus amer et le plus traumatisant qu’on a gardé de ces soirées de clôture des manifestations carnavalesques au Cap-Haïtien se passa le mardi 7 Février 1965 au Rumba Night-Club au Carénage.
Le tristement célèbre Adherbal Lhérisson, l’un des adeptes et dévoués serviteurs de François Duvalier, entra rouge de colère au Rumba Night-Club, l’une des boîtes de nuit les plus fréquentées de l’époque, où performait l’orchestre Septentrional.
Il était armé jusqu’aux dents. Il tua Tony Piquion à bout portant d’une rafale de mitraillette. Tony qui était un père de famille honorable et respecté mourut sur le champ.
Tony Piquion était un notable de la ville, un footballeur de renom qui a évolué au sein de l’Association Sportive Capoise (ASC), un camionneur de grande renommée. Le président Paul Magloire et lui s’étaient mariés à deux sœurs. Il laissa une famille nombreuse dans le deuil et la tristesse.
Islam Louis Étienne
Mars 2020
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