Un rapport qui arrive sur mon bureau chaque mois raconte une histoire troublante. C'est une question sur laquelle ce journal (Le Nouvelliste) a écrit, et un nouveau chapitre mérite d'être mentionné parce que les conséquences vont toucher toute la société haïtienne entre les zones frontalières et la capitale.
Les chiffres sont inquiétants. D’après la Direction générale de la migration (DGM) dominicaine, durant les 7 premiers mois de l’année 2018, plus de 80 000 migrants ont été rapatriés de la République dominicaine. Cette vague de migrants représente à peu près l’équivalent des populations des villes frontalières d’Anse-à-Pitres et de Belladère réunies.
Depuis l’expiration du Plan national de régularisation des étrangers (PNRE) le 26 août dernier, des milliers d'Haïtiens font face à de plus grandes menaces et craintes de rapatriement. Si aucune mesure d’assistance et d’accompagnement n’est prise, les conséquences seront graves non seulement pour les individus, mais aussi pour l’économie et la sécurité en Haïti.
Selon les chiffres avancés par des autorités dominicaines, le PNRE avait permis à environ 239 000 immigrants, en majorité des ressortissants haïtiens en situation irrégulière, d’obtenir un permis de séjour temporaire valable pour une durée d’un à deux ans.
Avec l’expiration du PNRE, on peut s’attendre à un nombre encore plus important de migrants retournés dans les semaines et mois à venir. Pourtant, aucune mesure concrète n’est prise jusqu’à présent pour la résolution de cette situation.
Cela représente cependant une opportunité de traiter en profondeur la question migratoire dans le pays pour trouver des solutions durables, en concertation avec les autorités dominicaines, les institutions haïtiennes et les organisations de la société civile. Contrairement aux cas de désastres naturels, nous pouvons anticiper certaines dynamiques qui seront déclenchées par l’expiration du PNRE. Des démarches conjointes et concrètes doivent être entreprises pour éviter les souffrances humaines à partir de maintenant.
Premièrement, il faut considérer les conséquences que l’afflux potentiel de 80 000-200 000 nouveaux arrivants peut avoir sur la sécurité nationale. Par exemple, nous pouvons anticiper la capacité de la police nationale et l'appuyer afin de maintenir la loi et l'ordre dans des villes où la population risque parfois de doubler dans les mois à venir.
Ensuite, les conséquences pour les plus vulnérables – il est connu que les trafiquants profitent du chaos dans les situations de désastres et d’instabilité. Les enfants non accompagnés et les femmes font partie des nombreuses personnes vulnérables retournées que les agents de l’ONM et de l’IBESR ont enregistrées dans les Centres de ressources frontaliers (CRF). Un important support est alors nécessaire pour accompagner ces victimes afin qu’elles reçoivent l’assistance appropriée et des facilités de réintégration.
Il y aura aussi des conséquences sur l’économie haïtienne. Cette pression migratoire aura inexorablement un impact sur l’économie nationale avec un nombre croissant de demandeurs d’emplois et une pression supplémentaire sur les marchés locaux. En plus de la concurrence pour les emplois locaux, cela affectera également les communautés d'accueil, notamment dans les zones frontalières qui souffrent déjà d’un manque d’infrastructures et de services sociaux. Si bon nombre d’entre eux continuent leur voyage pour arriver à Cap-Haïtien ou Port-au-Prince, une intensification des pressions sur les transports publics, les écoles, les hôpitaux est également attendue.
En l'absence de mécanisme de réintégration pour ces migrants, on observe déjà des flux importants de migrants irréguliers qui tentent de retourner en République dominicaine, notamment en passant par les points frontaliers non officiels. Ces derniers vont se trouver à nouveau dans une situation de vulnérabilité en raison de leur situation irrégulière en RD.
Tous ces exemples prouvent combien il est important de planifier une réponse concertée afin de limiter l’impact de la fin du PNRE sur la vie des migrants et sur la société haïtienne.
L’OIM est prête avec le soutien de ses partenaires à apporter tout son appui à l’État haïtien pour définir un plan d’action qui vise à assurer un retour digne et une meilleure réintégration des migrants dans leurs communautés d’origine et ailleurs dans leur pays.
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