Prix Femina 2014

Des écrivains haïtiens rendent hommage à Yanick Lahens

Des auteurs haïtiens, notamment Gary Victor, Lyonel Trouillot, Kettly Mars, Emmelie Prophète et le critique Pierre-Raymond Dumas rendent hommage à l’auteure de « Bain de lune », Yanick Lahens, lauréate du prix Femina 2014. Nous publions les mots de ces derniers.

Roxane Kerby
Par Roxane Kerby
04 nov. 2014 | Lecture : 4 min.
Gary Victor Yanick Lahens m’a toujours comblé de sa lumineuse intelligence, de sa sensibilité d’Haïtienne tourmentée par les malheurs de son pays, angoissée, terrifiée, torturée, par ce consensus pour le mal qui nous consume. Toute son œuvre est un cri. Un regard cri ! Une volonté d’ébranler les murailles, de faire surgir une étincelle de la cécité. Son travail devrait forcément aboutir à une récompense. Mais triste société dont les vraies valeurs doivent se contenter de reconnaissance hors de ses frontières. Je dirai simplement pour terminer que je suis fière de ma grande dame. Elle a toujours été pour moi un exemple. Elle l’est encore plus maintenant. Lyonel Trouillot Bain de lune… C’est ce que, dans un langage un peu classique, mais non sans vérité : un ouvrage abouti. Le propre du romancier, de la romancière est de créer des personnages. Celles et ceux de Bain de lune nous resteront. Il y a aussi cette belle langue qui s’inscrit dans une tradition de luxuriance et de musique de la phrase à laquelle appartiennent quelques semences de la colère et arbres musiciens en passant par des peuples qui mêlent parfois leurs terres. Une fidélité sans asservissement, avec un souci méticuleux du mot juste pour créer, autre obligation du romancier, de la romancière, une atmosphère. Il y a enfin, mais il n’y a pas d’enfin, la lecture demeurant inépuisable, un hommage à cette paysannerie, la grande oubliée des structures de pouvoir, que la littérature, et souvent elle seule, nous appelle à entendre et à regarder. Le Femina, bien sûr. Une joie individuelle. Et collective. Il ne fait pas la preuve que la littérature haïtienne produit de grands textes mais que cela commence à se lire, se dire, se savoir ailleurs. Espérons qu’en plus des retombées positives pour Yanick et pour les lettres haïtiennes, il laissera plus souvent sur le visage de Yanick ce beau sourire qu’on a pu voir à la télévision. Bravo Yanick. Ecris et souris. Emmelie Prophète Nous avons appris, ces dernières années particulièrement, que la littérature en plus de donner espoir, de consoler, d’aider à affronter toutes les solitudes, peut aussi unir, faire sourire, mettre d’accord toute une collectivité, souvent désemparé, avec des doutes sincères sur la possibilité de créer un espace avec de la place pour tous. Le prix Fémina remporté par Yanick Lahens a opéré cette magie-la. Nous sommes fiers de Yanick, nous lui disons merci pour ce coup de projecteur qui permet aux lettres haïtiennes, aux écrivains haïtiens et au pays tout entier d’être dans la lumière. Merci Yanick, et compliments ! Kettly Mars Il est des victoires qui changent le cours d’une vie. Il est des triomphes qui débordent le cadre d’une vie. Il est un pays qui se nourrit de victoires, de triomphes Et de grands bonheurs tranquilles offerts par ses fils et ses filles. Bravo à Yanick Lahens pour ce nouveau succès qu’elle apporte Au pays et aux lettres haïtiennes. Pierre-Raymond Dumas Le prix Femina obtenu pour « Bain de lune» ne fait que consacrer et mettre en exergue le talent et le patient travail de Yanick Lahens dont la première œuvre publiée en volume (L’Exil : entre l’encrage et la fuite) date de 1990. Romancière et nouvelliste – attitrée -, enseignante jusqu’en 1995 à l’Ecole normale supérieure, critique avisée et rigoureuse, Yanick Lahens est en train de construire une œuvre innovante, originale même. C’est, certes, la consécration d’un remarquable travail, mais, à mon sens, le début d’un tournant qui sera marqué postérieurement par d’autres publications retentissantes et, conséquemment, des prix tout aussi prestigieux que le Fémina ! Dégagés des poncifs d’une littérature fade ou néo-indigénistes, ses trois précédents romans (Dans la maison du père, 2000 ; La couleur de l’aube, 2008 ; prix du livre RFO 2009, prix littéraire Richelieu de la Francophonie 2009, prix Millepages 2008; Guillaume et Nathalie, 2013) et ses trois précédents recueils de nouvelles (Tante Résia et les dieux, 1994 ; La Petite corruption, 2003 ; La folie était venue avec la pluie, 2006) mettent en scène des personnages enflammés saisis dans une langue onctueuse et sobre à la fois. Il s’agit là d’un style séduisant et d’une suprême finesse. C’est sa marque de fabrique ! Déjantés, meurtris, atypiques, resplendissants de sensualité et de joie de vivre, ses personnages, de tous âges, sont les reflets palpitants de notre société dont les résonances traversent toute la tumultueuse période macoute pour déboucher sur les générations actuelles aux prises avec des difficultés déroutantes. Son regard, cinglant, espiègle, impitoyable, est d’ordre sociologique, médical même, parce que Yanick Lahens, sans sourciller, cherche à nous alerter, en faisant montre de ce mélange de perspicacité et d’étonnement qui est le propre des grands écrivains. À l’évidence, elle nous fait le portrait de cette Haïti post-Duvalier avec ses aberrations séculaires et ses mutations monstrueuses. C’est qu’on n’est jamais exempt de questionnements devant une écrivaine aussi motivée et instruite. Rien dans la détresse de ses personnages ou les décors dramatisés de ses intrigues n’est fatal ou fortuit.