Davertige, Villard Denis, est né à Port-au-Prince en 1940 et est décédé à Montréal le 25 juillet 2004.
Peintre, poète, toute la notoriété, toute la légende de Davertige ont été construites sur un recueil de poème titré Idem publié en 1962. Un livre magistral, incontournable, mythique. Idem a été publié à compte d’auteur et pour payer l’impression Davertige avait du vendre sa voiture. Comme la somme ne suffisait pas, il a enlevé et balancé dans un égout un quart des textes du recueil. Quelques années plus tard il a fait une petite rallonge au recueil qu’il a appelé Ibidem, toujours le même, comme si même lui avait peur de toucher à sa légende.
Cela n’existe pas, ou ne devrait pas exister, des poètes qui n’ont jamais visité Omabarigore la ville qu’il a crée en prenant la mer dans ses bras et les paysages autour de sa tête. Il n’existe pas depuis 1913, l’année ou il a été écrit par Blaise Cendrars, d’anthologie de la poésie française sans La prose de transsibérien et de la petite Jehanne de France. Il n’existe pas non plus, même si les anthologies restent une catégorie rare en Haiti, d’anthologies de poésies haïtiennes sans Omabarigore.
Davertige est avec René Philoctète, Anthony Phelps, Roland Morisseau, Serge Legagneur, Auguste Ténor, fondateur de Haiti littéraire. Bourlingueur, il a habité en France, aux Etats-Unis, à Montréal où il a terminé sa vie. Il déclarait dans un entretien à la revue Conjonction en 1964 : « Je n’ai aucune honte, moi, à dire qu’un jeune écrivain qui nourrit beaucoup d’ambitions doit s’expatrier. Par besoin d’oxygène »
En 2003 il a récrit la plupart de ses poèmes de Idem et c’est sous le titre de « Davertige Anthologie secrète » que la maison d’édition Mémoire d’encrier, dirigé par le poète Rodney Saint-Eloi qui s’est occupé de Davertige dans les derniers moments de sa vie, a publié la dernière version de ces poèmes cultes.
En 1960, suite à l’arrestation de son ami Jacques Duviella, étudiant, il avait trouvé refuge chez une lavandière, ce séjour lui a inspiré un magnifique poème titré « Pétion-Ville en blanc et noir. C’est un poème qui prend aux tripes dont l’intensité fait peur et plonge dans un univers étrange. On lit ce texte une fois et on ne l’oublie plus jamais, comme une dette qu’il est impossible d’éponger, une douleur qu’aucun temps ne pourra effacer. Je vous propose ce voyage aujourd’hui dans « Besoin de poème »
Emmelie Prophète
Pétion-Ville en blanc et noir
Sa vie ce fut longtemps l’arbre de rêve bercé par la berceuse de l’enfance
Par la fumée d’un fer à repasser qui tournait ses cheuveux
Et des chiendents rampaient autour de la maison
Avec l’étoile aux yeux avec la mare au cœur
La maison cette remise ou le jour nous logions
Le charbon dans les fers brûlait et l’enfance et l’histoire de famille
La maison emplissait de fumée toutes les têtes
L’odeur de lessive d’amidon et de cendre
Gonflait par nos cheveux leurs bulles folles
Aux champs des orages s’élevait l’herbe de la pluie
Je me souviens et me souviendrai
Pour le bateau noir de son cœur l’indigo délayé tournait ses lacs
Et des ciels aux yeux d’anges pour ses pensées qui s’envolaient
Comme des oiseaux soûls du jour
Longtemps bien longtemps ce fut sa vie blanchie
Par de blancs linges repassés
Imbibés dans des baignoires de vieux fer-blancs
Je m’en souviens je m’en souviens
C’était la cendre à ses cheveux roux-d’or
Ô mémoire ô cri cratère redites-moi sa vie parmi les fleurs blanchies
Parmi les fers à repasser et le vieux moulin-à-café
Parmi ces tables de lessiveuse et les cuvettes de linges frais
Mais voici qu’il y a quinze ans de cendre de pluie et d’orage
Les gens d’alors quelques-uns ne sont plus
Et me voici encore seul et sans affection
Sur la croix d’ombre de mon cœur
Les yeux cloués au plafond de fumée
A côté de ce fer à repasser qui fume
Ô mémoire remplie de cendre et de charbon ardemment
La table de linges lavés de pleurs et de sueurs
Comme le ciel s’égoutte moins à l’horizon
Sa vie cette tisane de chiendent dans la cruche mouillée
Sa vie plus fragile qu’un petit bateau dans l’eau sale
Ah de beaux enfants jouaient sur la Place- Boyer
Et sa vie tournait dans la chambre sur des jouets peints en bleu
Son ombre blance renversée comme une lampe de larmes avide
Enfance enfance tes quatre bras se courbent avec une croix pâle
Je te revois en plein soleil souvent avec des bulles de savon
Qui s’échappaient d’entre tes lèvres
Je m’en souviens je m’en souviens
La barque dans l’eau tourne
Avec le levier je tourne au grand soleil levant
Et mes cheveux sont devenus bien noirs
Davertige
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