Colloque international sur le partenariat public-privé en Haïti en éducation

Présentation de Jacky Lumarque

Ne vous y trompez pas.

Jacky Lumarque
Par Jacky Lumarque
27 oct. 2005 | Lecture : 9 min.
Ne vous y trompez pas. Ce colloque va être très difficile. Pour plusieurs raisons. La première est liée à la nature même du thème retenu et à la complexité des questions qu'il soulève dans le contexte de notre pays. Ce thème: « l'enseignement privé en Haïti : un service public », met face à face, non pas comme on peut facilement le croire, le secteur public et le secteur privé ; mais il place l'ensemble des citoyens du pays, y compris ses dirigeants actuels et futurs, face à un paradoxe singulier. D'un côté, l'éducation que les Haïtiens mettent au rang d'un des services publics par excellence (rappelez-vous la Constitution de 1987 (article 32 alinéas 32.1 et 32.3) qui consacre la gratuité et l'obligation scolaire, figure onirique mais dominante de la plupart de toutes nos constitutions, depuis le moment de sa première apparition dans la constitution du 2 juin 1816 sous Pétion, bien longtemps avant- près de 65 ans- que l'Europe, grâce à la France, parvienne (en 1881-1882) à une loi sur l'obligation scolaire, la gratuité et la laïcité. Bref, d'un côté donc la reconnaissance en l'école haïtienne d'un service public par excellence. De l'autre côté, quoi ? La prise en charge de l'éducation des enfants et des jeunes haïtiens par des prestataires privés, dans une proportion de plus de 80% ! Il s'agit là d'un trait singulier, comme le démontrera tout à l'heure Emmanuel Buteau, qui n'a son ressemblant nulle part ailleurs, ni dans la région ni peut-être dans le monde. « Singulier petit pays ! » comme disait Demesvar Delorme. Deuxième raison de la difficulté de notre exercice : que dit la réalité haïtienne ? L'enseignement tout court en Haïti est-il un service public ? Le thème « Enseignement privé en Haïti : un service public » exprime-t-il une donnée factuelle ? Est-ce une intention ? Un devenir souhaité ? Ou bien s'agit-il d'une exigence venant du fait que les conditions de la réalisation de ce service public ne sont pas réunies? Quelles sont les exigences imposées par les pouvoirs publics qui font que l'enseignement privé soit un service public ? Ou bien, d'une autre manière, quelles sont les exigences à imposer par les pouvoirs publics pour que l'enseignement privé devienne un (véritable) service public ? Beaucoup de nos amis du secteur non public comprendront pourquoi ce colloque ne peut pas se ramener à un simple plaidoyer en faveur du secteur non public, malgré le peu d'amour que ce secteur rencontre dans l'opinion ou dans la presse ou parmi la plupart des dirigeants, peut-être justement à cause des deux raisons précédentes. Il ne suffira pas de dire au monde entier que nous sommes bons, nous sommes généreux, nous aimons tout le monde. La réalité pour les familles haïtiennes modestes et pauvres de devoir consacrer 40% de leur budget aux dépenses d'éducation, soit le deuxième poste tout de suite après l'alimentation, sans recevoir dans la plupart des cas la contrepartie de la qualité promise, ne laisse pas beaucoup de place pour la compassion. Voilà pourquoi, la nécessité s'impose d'abord pour les acteurs du secteur non public de prendre froidement mais courageusement la mesure des déficits à combler et de se demander : Quoi faire et comment faire pour d'abord mettre de l'ordre dans la maison ? Ce colloque est une étape dans le processus de construction de la réponse et cette question , en fait, cristallise le sens de la plus grande partie des activités organisées dans la première journée du colloque : c'est la prise de conscience d'un besoin de structuration du secteur non public, pour que d'abord, à son propre niveau, il fasse le ménage chez lui et se qualifie comme un interlocuteur légitimé de l'Etat pour l'accompagner dans la réalisation de la mission de service public de l'école, mission fondatrice et refondatrice de toute nation. Les syndicats d'enseignants et les associations de parents d'élèves les accompagneront dans cette réflexion non seulement grâce au regard critique qu'ils projettent sur les pratiques mais aussi pour dire le sens de leur accompagnement dans ce cheminement. Mais là ne s'arrête pas la difficulté. Malheureusement. Car, même en reconnaissant l'exigence de l'éducation offerte par le privé comme un service public, même en choisissant de s'organiser pour s'y conformer, il faudra encore affronter les questions suivantes : • De quel référentiel disposons-nous? Disposons-nous d'une doctrine haïtienne de service public ? • Quels sont les modèles de service public que l'expérience haïtienne nous donne à méditer ? • Celui de l'éclairage ? De la distribution de l'eau potable ? De l'hygiène publique ? De l'environnement ? Du transport en commun ? De la sécurité ? En vérité, je ferais mieux d'arrêter. Il ne faut pas que le caractère élémentaire de ces questions nous trompe sur la disponibilité des réponses. Celles-ci ne sont pas à portée de la main. Car, la notion de service public impose à ses fournisseurs une double exigence : satisfaire les besoins des utilisateurs, usagers ou clients, ce qui nous place sur le terrain de l'efficacité, donc le terrain de l'opérateur et assurer en même temps la cohésion sociale, ce qui nous renvoie à la dimension de l'équité, qui est le terrain privilégié de l'Etat. A travers les trois années de discussion et d'échanges préparatoires à ce colloque, je crois que tout le monde, parmi les membres de ce consortium et peut-être plus largement au sein du secteur privé, reconnaît que c'est aux pouvoirs publics et aux pouvoirs publics seuls qu'il appartient de garantir cette double exigence, à travers une autorité publique organisatrice, en l'occurrence ici, le ministère de l'Education, co-organisateur de ce colloque qui doit d'abord établir les paramètres de la mission de service public éducatif. C'est à travers une définition claire des finalités de la mission de service public de l'école qu'il devient admissible que l'exploitation de ce service public puisse être laissée à des prestataires privés. Par exemple, une catégorie de finalité peut être que : aucun enfant ne doit être exclu du bénéfice de l'éducation en raison de handicaps économiques, physiques ou autres. Pourtant, ils sont actuellement au nombre de 500 000 dans le pays, principalement pour des raisons économiques. Ensuite, en fonction de ces finalités l'autorité organisatrice doit définir un cahier des charges et s'assurer par des dispositifs de contrôle et de sanctions que ce cahier des charges est mis en oeuvre correctement par les exploitants. A quelle distance notre réalité aujourd'hui se trouve-t-elle par rapport à ces exigences ? Est-ce que le cahier des charges que le ministère doit imposer aux prestataires privés est applicable aux établissements publics directement gérés par le ministère ? Est-ce que les sanctions applicables aux prestataires non publics pour non conformité de l'action par rapport aux prescriptions épargneraient beaucoup d'établissements publics? Voilà encore une famille de questions difficiles à aborder, parce que la plupart des réponses sont connues et qu'elles sont douloureuses ; et que les débattre en public peut provoquer quelques agacements. Il faut pourtant passer par là. Il faut donc aborder ces questions en adulte responsable, ensemble, de manière coordonnée dans une perspective positive, je dirais même de salut collectif, parce que au fond, nous sommes, pour ainsi dire, embarqués dans le même bateau et que le problème à résoudre est le même pour tout le monde : former des Haïtiens -tout en sachant qu'il est déjà tard- capables de mettre le pays au rang d'une nation compétitive, sur une planète que la mondialisation rend de plus en plus étroite, et qui nous place en face de tigres féroces qui n'ont aucune pitié pour les brebis. C'est le sens des activités consacrées à la deuxième journée : quelles structures et quels mécanismes mettre en place pour, dans un cadre de partenariat public-privé, accroître la synergie des actions dans la perspective d'améliorer la réponse du pays dans le façonnement d'un système éducatif attentif à la fois aux besoins du développement national et aux exigences de la mondialisation. Encore une fois, les difficultés ne sont pas épuisées et nous devrons faire face parfois à plus de questions qu'à de réponses. Parmi les questions : Qu'entendons-nous exactement par partenariat public-privé ? Ce concept revient souvent dans les discours ou les projets sur d'autres secteurs : la santé, l'environnement et même le secteur des affaires. Quel contenu mettre dans les projets de partenariats public-privé? Où se situent les rôles, les engagements, les responsabilités, les apports et les limites de chacun ? Est-ce que le partenariat devient à l'ordre du jour parce qu'il est donné comme une réponse de type « second best » à un concept d'Etat faible ? Ou bien est-ce une manière de responsabiliser le privé dans une démarche de recherche de plus grande efficacité et de transparence ? etc etc. L'examen de ces questions se fera sous l'éclairage des témoignages apportés, dans le deuxième panel, par cinq anciens ministres de l'Education dans la gestion de la relation secteur public-secteur privé. Comme par anti-symétrie, les syndicats et les associations de parents d'élèves compléteront le tableau en exprimant la compréhension de leur rôle et de leur contribution dans la construction d'un système éducatif équitable et de qualité. De même, les leçons de l'expérience d'autres pays seront mises à contribution grâce aux interventions de nos collègues qui traiteront successivement des cas de la République Dominicaine, de l'Amérique Latine, de la France, du Canada et de l'Afrique. Ce colloque a mis trois ans à se définir, se préciser et affiner les questions qu'il soulève. Ce processus a permis aux 10 organisations qui constituent le Consortium par delà leurs différences (de confession, de vision du monde, de finalités et de modes opératoires) d'apprendre à se parler, s'accepter et construire un projet commun, respectueux des spécificités et des compétences distinctives de chaque organisation. Plus récemment, sept journées régionales préparatoires se sont tenues dans sept villes de provinces afin d'inclure dans les échanges les associations et les acteurs des provinces. Nos discussions seront enrichies par les apports des journées régionales ainsi que par les résultats d'une enquête récente réalisée par la FOHNEP sur la dynamique associative, en milieu scolaire, au niveau des régions. Deux événements importants serviront de trame aux échanges des participants dans le colloque. Le premier est un salon du livre scolaire organisé avec l'aide des éditions Henri Deschamps, Editions Areytos, du Collège Canapé Vert, de l'Eglise Méthodiste d'Haïti et de l'Université Caraïbe. Ceci est une manière de reconnaître l'importance du matériel didactique comme déterminant de la qualité ; ce sera aussi une occasion de poser les problèmes en rapport avec la politique du livre du ministère en raison de l'importance croissante des ressources publiques consacrées à ce volet. Le deuxième événement est un salon des nouvelles technologies de l'information appliquées à l'éducation, avec la participation de SOLUTIONS, TURBO SYSTEMS, et le Campus numérique de l'Agence Universitaire de la Francophonie. Les défis de l'informatique à l'école et les opportunités offertes par ces technologies pour améliorer la qualité et accroître l'accès seront examinés à travers un panel consacré à ce thème et une expérience de vidéo conférence avec une classe d'un collège de Port-au-Prince. En réalité, l'exercice que nous faisons aujourd'hui en prenant pour objet d'étude le secteur éducatif sous l'angle de sa régulation et de la gestion des rapports de l'Etat avec les acteurs du secteur non public, même sans aborder d'autres dimensions tout aussi fondamentales de la dynamique éducative, comme celle de l'enseignement supérieur et universitaire ou celle de la formation technique et professionnelle dont les développements sont handicapés par la déficience des politiques publiques et l'inadéquation du cadre légal et réglementaire les régissant., nous rappelle que, compte tenu de la similarité des problèmes des différents sous secteurs, c'est au fond toute la problématique de la gouvernance globale du pays qui est en débat. L'éducation se comporte alors pour nous, comme disent les psychosociologues, comme un analyseur de l'Etat, ou de la société, qui permet la mise à nu de ses caractéristiques, de ses problèmes mais aussi de ses potentiels et de ses dynamiques. C'est en ce sens que le colloque n'est peut-être pas un point de départ uniquement pour les membres du consortium. CAPITAL CONSULT a accepté d'accompagner ce consortium depuis trois ans parce que ce projet est, à son avis, l'un des rares projets du secteur qui ne soit pas un projet «Donor's oriented » c'est-à-dire défini à partir de la perspective et de la vision des donateurs. Elle a pu obtenir que dès le départ chaque membre du consortium mette sur la table des ressources propres pour témoigner de leur intérêt et de leur engagement pour la démarche. C'est l'une des raisons pour lesquelles le projet de construction initié par ce colloque est un point de départ prometteur. Merci aux sponsors qui ont accepté de s'engager très tot avec nous malgré les incertitudes de départ et qui n'ont pas attendu le dernier moment pour voler au secours de la victoire. Bon colloque à tous.