Carly Dollin a soutenu, le vendredi 12 avril 2024, sa thèse de doctorat en économie autour du thème « Essais en économie du travail, de la technologie et du développement», rédigée sous la direction du professeur Mark Gibson du Département des sciences économiques de la «Washington State University». Le jury, composé de Mark Gibson (directeur de la thèse) et des professeurs Shanthi Manian et Jeffrey Luckstead, a accepté le travail en ne recommandant que des corrections mineures.

La thèse (disponible à l’adresse ESSAYS IN ECONOMICS OF LABOR, TECHNOLOGY, AND DEVELOPMENT - Washington State University) aborde diverses problématiques reliées à l'économie de la technologie, du travail et du développement. L’auteur applique plusieurs méthodes empiriques en statistique, particulièrement en économétrie, pour obtenir des résultats pertinents qui peuvent guider les politiques publiques dans les domaines d’études.

La thèse est composée de trois chapitres représentant un article chacun. Le premier explore les taux de déclin et de diffusion des connaissances technologiques dans le secteur manufacturier américain, en se concentrant spécifiquement sur quatre sous-secteurs parmi vingt-cinq existants. Couvrant la période de 1995 à 2012, l'étude adopte une méthode d'échantillonnage pour recueillir des brevets et des citations dans les industries aérospatiale, informatique, alimentaire et automobile. De plus, l'étude examine le lien entre l'obtention de brevets, les citations et le stock de connaissances à travers les industries manufacturières. En appliquant la spécification double exponentielle formulée par Caballero et Jaffe (1993), le Dr Dollin trouve des taux de déclin et de diffusion de 0,0741 et 0,00022 pour l'ensemble de l'échantillon.

Le sous-secteur aérospatial présente le déclin le plus élevé (0,167), tandis que l'industrie informatique montre le plus grand paramètre de diffusion (0,00063). Malgré son faible paramètre de déclin (0,041) et son taux de diffusion relativement élevé (0,0005), le sous-secteur alimentaire présente les connaissances technologiques les plus faibles en raison du nombre plus faible de brevets annuels accordés. L'informatique occupe la première place en matière de connaissances technologiques, tandis que l'aérospatial se classe dernier malgré un nombre relativement important de brevets. Les résultats soulignent la sensibilité de l'obsolescence et de la diffusion des connaissances technologiques entre les sous-secteurs.

De plus, les résultats révèlent que les revendications de brevets influencent les citations, en particulier les citations rétrogrades, qui sont un facteur clé du stock de connaissances. La recherche met en évidence l'importance tant de la quantité que de la qualité des brevets dans la détermination du niveau de connaissances technologiques. À noter que le nombre de citations témoigne de la pertinence des recherches et des innovations scientifiques et revêtent en ce sens une importance capitale dans la littérature sur le développement économique.

Un développement économique orienté vers la technologie

Le deuxième article examine l'impact de la technologie informatique sur les salaires réels moyens dans 455 sous-secteurs manufacturiers des États-Unis, couvrant la période de 2007 à 2012. Cette étude explore les disparités salariales entre les sous-secteurs, en se concentrant sur la taille, l'intensité en capital, les services professionnels et techniques, ainsi que la productivité du travail. Afin de préciser les effets causals et de décrire les mécanismes par lesquels la technologie informatique influence les salaires moyens, Carly Dollin utilise un modèle à deux étapes des moindres carrés (2-SLS) avec une approche à effets fixes bidirectionnels. Il estime de manière cohérente le modèle en utilisant comme variables instrumentales un indice de stock de connaissances dérivé des citations de brevets et des taux de déclin et de diffusion authentiques du secteur manufacturier.

Les résultats du modèle révèlent une élasticité positive de la technologie informatique sur les salaires moyens, allant de 11,6 % à 12,9 % pour l’ordinateur, et de 15,7 % à 18,3 % pour les logiciels dans les sous-secteurs à haute technologie. Cette association positive suggère qu'une plus grande adoption des ordinateurs et de leurs produits dérivés dans le milieu de travail est associée à des salaires moyens plus élevés. De plus, les résultats montrent des effets marginaux plus importants de la technologie sur les salaires dans les sous-secteurs à forte productivité du travail, intensifs en capital et en technologie. En résumé, l'article soutient l'argument du changement technologique biaisé vers les compétences (SBTC) qui illustre le fait que les avancées technologiques créent des opportunités pour les travailleurs hautement qualifiés tout en désavantageant les travailleurs moins qualifiés.

Ces résultats peuvent être utilisés pour analyser les inégalités de revenus et de richesse aux États-Unis ou ailleurs mais aussi pour mieux comprendre le concept de convergence en club. Ce concept est utilisé en économie du développement et en économie de la croissance pour décrire un phénomène où des groupes de pays ou de régions (appelés clubs) convergent vers un même niveau de développement ou de revenu par habitant, mais cette convergence ne s'applique qu'au sein de ces groupes spécifiques et non nécessairement entre tous les pays du monde.

Autrement dit, au lieu d'une convergence globale où tous les pays finiraient par atteindre le même niveau de développement, la convergence en club suggère que des groupes de pays ayant des caractéristiques similaires (par exemple des niveaux d'éducation, d'infrastructure ou de gouvernance similaires) peuvent converger vers des niveaux de développement proches, tandis que d'autres groupes de pays peuvent rester à un niveau de développement distinct. Les pays qui exploitent mieux la technologie et le stock de connaissances informatiques constituent un de ces clubs.

La convergence en club est liée à l'idée de convergence conditionnelle qui stipule que les pays avec des caractéristiques structurelles semblables (comme des institutions, des politiques économiques, ou des niveaux d'éducation et surtout des niveaux technologiques) ont plus de chances de converger vers un niveau similaire de croissance économique ou de développement. Ainsi, les pays développés peuvent converger entre eux vers des niveaux de revenus plus élevés, tandis que les pays en développement peuvent avoir des trajectoires de croissance différentes en fonction de leurs conditions particulières.

Cela peut aussi s'expliquer par le fait que les pays qui partagent des conditions similaires sont plus susceptibles de bénéficier des mêmes mécanismes de croissance et d'innovation, et donc de rattraper leur retard les uns par rapport aux autres, mais sans nécessairement combler l'écart avec les pays les plus avancés. La convergence en club signifie que la convergence économique ne se produit pas de manière uniforme à l'échelle mondiale, mais plutôt au sein de groupes de pays qui partagent des caractéristiques communes.

Qu’en est-il du bien-être social?

Le troisième article examine le bien-être social en adoptant un indice de bien-être ajusté en fonction des inégalités, dérivé d'une analyse en composantes principales (ACP). Cet indice est développé à l'aide d'une approche basée sur les données qui conserve neuf indicateurs composites couvrant diverses caractéristiques sociales et économiques dans 178 pays. La méthode utilisée est similaire aux études précédentes, mais l'étend en incorporant des poids des variables et des inégalités entre les pays. En plus des dimensions classiques du développement humain (santé, éducation, accès aux ressources), cet article se concentre sur l'autonomisation des femmes, l'environnement et les indicateurs de mode de vie social.

Les résultats suggèrent que les pays excellant dans le domaine de la santé tendent à bien performer dans d'autres domaines socio-économiques. Les résultats suggèrent également que l'histoire du développement global doit intégrer des dimensions sociales et écologiques plus spécifiques. Ce nouvel indice ajusté en fonction des inégalités (IAGWI) est comparé aux indices de développement traditionnels tels que l'Indice de développement humain (IDH), l'Indice de développement humain ajusté aux inégalités (IHDI) et l’Indice de développement humain ajusté aux pressions planétaires (PHDI). Ils affichent des similarités, mais aussi des écarts de classement importants entre les pays pour plusieurs dimensions. Essentiellement, cet article souligne la complexité du bien-être social, en insistant sur la nécessité de considérer le bien-être sous plusieurs angles socio-économiques.

Quelle est l’importance d’une telle thèse pour Haïti ?

La thèse est essentiellement portée sur les États-Unis, notamment les deux premiers chapitres. Cependant, comme toute bonne thèse, elle a un caractère universel. Selon le Dr Dollin, une façon de faire le lien avec Haïti serait de rappeler l’importance du stock de connaissance dans le progrès technologique. Il souligne particulièrement le rôle crucial de la technologie dans l’amélioration des conditions salariales des employés. La thèse peut aussi aider à mieux comprendre les inégalités de richesse en Haïti mais aussi pourquoi Haïti s’écarte de la frontière des possibilités de développement.

Malheureusement, la précarité des données en Haïti ne facilite pas la possibilité de répliquer des modèles utilisés par le Dr Dollin dans sa thèse, particulièrement en ce qui concerne le stock de connaissances ainsi que ses paramètres sous-jacents : taux de diffusion et taux de désuétude. Probablement, l’impact de la technologie (utilisation d’ordinateurs) sur les dispersions salariales pourrait quand même être mis en évidence en Haïti. Le troisième article de la thèse est d’un grand intérêt pour les pays en développement, particulièrement Haïti. L’auteur fait un plaidoyer pour un indicateur de développement composite qui prend en compte les inégalités intra-pays tout en incorporant un ensemble de dimensions supplémentaires non prises en compte par l’IDH.

Carly Dollin est diplômé en statistique au Centre de techniques, de planification et d’économie appliquée (CTPEA). Il a fait deux spécialisations respectivement au Centre d’études en population et développement (CEPODE) à la Faculté des sciences humaines (FASCH) et au programme Informatique et mathématiques appliquées à la finance et l’économie (IMAFE) à la Faculté des sciences avant de bénéficier d’une bourse du Programme canadien de bourses pour la francophonie (PCBF) pour une maitrise en économie du développement à l’Université de Montréal. Pour ses études doctorales, il a profité d’une bourse d’excellence Fulbright. Dollin a travaillé au ministère de l’Économie et des Finances (2006-2008), au Bureau principal du commerce et de l'industrie (MCI) et à des organismes internationaux comme la Banque interaméricaine de développement (BID).

Son dévouement au développement de la jeunesse l'a conduit à intégrer l'enseignement assez tôt dans sa carrière professionnelle. Le Dr Dollin a passé plus de 10 ans à enseigner au niveau du premier cycle universitaire, notamment à l'INAGHEI, l'IHECE, l'Université Quisqueya (Uniq). Il a achevé son doctorat en économie à la « Washington State University » en même temps qu’une maîtrise en statistique. Le Dr Dollin est très impliqué dans diverses activités sociales en Haïti et dans la diaspora. Son nouveau diplôme va donc profiter à toutes les communautés haïtiennes d’ici et d’ailleurs ainsi qu’au monde de la recherche scientifique.

Thomas Lalime

thomaslalime@yahoo.fr

Carly Dollin, docteur en économie

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