Depuis les 45 ans d'existence de la Banque de la République d'Haïti (BRH), c’est pour la première fois qu’elle a eu à faire face à autant de défis au cours d’une année, a confirmé le gouverneur Ronald Gabriel à notre confrère Kesner Pharel le jeudi 2 janvier 2025 sur les ondes de Profin TV. Il intervenait au trentième épisode de l’entrevue Leslie Delatour qui, comme gouverneur, avait réalisé la toute première émission bilan de la politique monétaire avec Kesner Pharel le 2 janvier 1995. Depuis, tous les gouverneurs qui se sont succédé à la BRH ont répondu à cette invitation.

M. Gabriel a débuté l’émission par la présentation à tous les acteurs économiques de ses vœux « pour une année 2025 stable, où tous les acteurs pourront véritablement travailler à la création de richesse pour sortir l’économie enfin de ce qui semble être une trappe de croissance économique négative qui entretient la pauvreté et alimente le cycle de la violence dans le pays ». Des vœux qui en disent long sur les grands défis auxquels est confronté le pays dans son ensemble et la BRH en particulier. Ils présument que l’instabilité politique empêche de travailler à la création de richesse et enfonce le pays dans un cycle perpétuel de paupérisation et de sous-développement qui devient de plus en plus difficile à briser.

Nécessité d’un « Big Push »

Six années consécutives de croissance économique négative engendrent de la pauvreté massive qui constitue un terreau fertile à la propagation de la violence qui, à son tour, amplifie l’instabilité politique et handicape le processus de création de richesse. C’est à ce cycle infernal que l’on est en train d’assister depuis les quatre dernières décennies et qui s’est intensifié au cours des six dernières années. Malheureusement, quand un pays s’enlise dans une trappe de pauvreté ou de sous-développement, il lui faut un « Big Push » pour pouvoir s’en sortir. Celui-ci requiert une coordination non seulement de tous les secteurs vitaux de la vie nationale, mais aussi des partenaires internationaux. La trappe de croissance négative ou de pauvreté peut aussi résulter d’un échec de coordination des acteurs les plus influents comme on le constate dans le milieu politique ces dernières années.

Le déroulement de la deuxième participation du gouverneur Ronald Gabriel à l’entrevue Leslie Delatour s’est réalisé dans un contexte économique morose que connait le pays depuis bientôt une décennie. La BRH avait anticipé que l’année 2024 aurait pu être difficile mais pas avec autant de défis, a avoué le gouverneur. Des défis qui, selon lui, ont pris la forme de chocs tant sur le plan sécuritaire que celui de la crise politique qui perdure. Mais la BRH a aussi connu en juin 2023 un choc technologique majeur et a dû faire face à une réduction des espaces de production qui ont contribué à une contraction économique pour la sixième année consécutive. Un taux de croissance de -4.2 % selon les comptes économiques publiés par l’Institut haïtien de statistique et d’informatique (IHSI), soit la plus forte contraction enregistrée depuis le séisme du 12 janvier 2010. Le pays patauge donc en pleine dépression économique avec une compression de douze des seize branches d’activité économique pour lesquelles l’IHSI a calculé les valeurs ajoutées.

Les chocs ci-dessus mentionnés ont eu également des impacts négatifs sur l’efficacité de la politique monétaire conduite par la BRH qui a été obligée de garder une posture de resserrement. M. Gabriel admet qu’il s’agit d’un arbitrage difficile pour la banque centrale entre la lutte contre l’inflation et les objectifs de croissance économique. Le ratio de sacrifice, indique-t-il, tarde encore à produire les effets escomptés en raison des effets adverses qui empêchent l’économie de croitre.

Des éléments positifs en 2024 sur lesquels on peut construire en 2025

Le gouverneur en a cependant profité pour mentionner les points positifs de l’année 2024 sur lesquels on peut capitaliser pour renouer avec la croissance économique en 2025. «Des crises généralement naissent des opportunités », rappelle-t-il. De ces points positifs, il a cité la relative longue période de stabilité du taux de change d’environ un an au cours de laquelle le taux de change de référence du marché, calculé par la BRH, a tourné autour de 131-132 gourdes pour un dollar américain. Ronald Gabriel a pris soin de souligner la réduction de l’écart entre le taux pratiqué sur le marché informel des changes et celui déterminé par le marché bancaire. La banque centrale avait relevé des signes d’une plus forte attractivité du marché informel des changes qui attirait une forte clientèle et réduisait du même coup l’efficacité de ses interventions sur le marché formel des changes.

Un autre point positif mentionné par le gouverneur est la maîtrise des finances publiques qui amenuise le recours du gouvernement au financement monétaire de la banque centrale. Celui-ci a été réduit à zéro. Les dépenses budgétaires totales de 158 milliards de gourdes ont été inférieures aux recettes fiscales de 167 milliards de gourdes pour l’exercice clos le 30 septembre 2024. De même, les ressources totales de 361 milliards de gourdes ont été supérieures aux décaissements totaux de 339 milliards de gourdes reportées dans la note sur la politique monétaire de la BRH couvrant la période juillet-septembre 2024. Le contrôle des dépenses publiques demeure l’une des variables à la base de la relative stabilité du taux de change. « C’est un facteur extrêmement important pour la stabilité macroéconomique », renchérit M. Gabriel. La reprise économique passera cependant par une augmentation des dépenses publiques.

Ronald Gabriel a également souligné un renforcement significatif des réserves nettes de change de la banque centrale qui ont dépassé le seuil d’un milliard de dollars américains, contre seulement 350 millions en septembre 2023. Un niveau que la BRH n’avait pas atteint depuis des années, ce qui la met dans une position confortable pour soutenir l’offre lorsque la reprise des activités économiques va être mise en place. Les périodes de relance économique, prévient le gouverneur, s’accompagnent souvent des éléments de surchauffe dans les indicateurs de prix, notamment une volatilité du taux de change qui est le prix d’une monnaie étrangère (le dollar américain, l’euro ou le peso) par rapport à la gourde.

Par rapport à l’accumulation significative des réserves nettes de change, M. Gabriel a tenu à préciser ceci : « En janvier 2024, la BRH avait payé 500 millions de dollars américains à la « Petróleos de Venezuela » SA (PDVSA) qui est la compagnie pétrolière appartenant à l'État vénézuélien dans le cadre de négociations entre les États haïtien et vénézuélien qui ont abouti à l’allègement de la dette d’Haïti contractée à travers le programme PetroCaribe. Ces négociations avaient permis à Haïti de bénéficier d’un allégement de la dette de 1,7 milliard de dollars américains sur un encours total de 2,2 milliards de dollars américains. Ces 500 millions de dollars américains étaient disponibles sur un compte transitoire du gouvernement haïtien ouvert en 2016 à la banque centrale et alimenté régulièrement par le ministère de l’Économie et des Finances (MEF) afin de pouvoir verser le service de la dette dans le cadre du programme PetroCaribe. Ces 500 millions n’étaient plus dans le patrimoine de l’État haïtien, encore moins dans celui de la BRH. Ils faisaient partie des réserves brutes en contrepartie desquelles il y avait des engagements pour le même montant. Donc, leur sortie n’a eu aucun impact sur les réserves nettes de change ».

Pour le gouverneur de la BRH, ces points positifs constituent des éléments sur lesquels on peut bâtir, car les conditions que connaît le pays ne sont pas des fatalités en soi », a-t-il affirmé, rappelant que les crises peuvent donner naissance à des opportunités. Les pressions inflationnistes demeurent pourtant élevées. Le taux d’inflation s’élevait à 26,6 % en glissement annuel en novembre 2024, selon les dernières données publiées par l’Institut haïtien de statistique et d'informatique (IHSI) à la fin du mois de décembre. Il s’agit d’une tendance à la désinflation, ou encore d’une diminution de la vitesse d’augmentation des prix lorsqu’on le compare au taux d’inflation de 49 % observée en janvier 2023. M. Gabriel a invoqué également des facteurs non monétaires qui affectent le taux d’inflation en Haïti : choc d’offre, prix relatif, dysfonctionnement de la chaine d’approvisionnement aux niveaux national et international, rigidité des prix ainsi que la difficulté de circulation des personnes et des biens.

Que faire pour retrouver le sentier de la croissance?

L’origine de la dépression économique observée aujourd’hui ne date pas uniquement des six dernières années. Elle remonte à des décennies. Pour pouvoir s’en sortir, Ronald Gabriel invite à revisiter des choix, notamment par rapport aux modèles de croissance et aux secteurs sur lesquels on doit baser la stratégie de croissance nationale en finançant des secteurs à grande valeur ajoutée. Il faut un ensemble de réflexions pour aborder sur le long terme la problématique de la croissance économique mais surtout la croissance inclusive. La BRH, précise le gouverneur, a introduit depuis une dizaine d’années l’Agenda monétaire pour la croissance et l’emploi afin de combler le déficit de financement de certains secteurs d’activité économique à haute valeur ajoutée.

De 2015 à date, la BRH a injecté environ 19 milliards de gourdes de financement à des secteurs générateurs de croissance comme les secteurs hôtelier, immobilier et celui de l’agriculture. La banque centrale a choisi de refinancer le secteur financier pour qu’il puisse financer ces secteurs. Elle a même financé les comptes à recevoir de certains exportateurs afin de faciliter leurs travaux en attendant de recevoir les paiements de l’étranger. Ronald Gabriel a cependant admis que les résultats de cette approche ne sont pas encore à la dimension des attentes, à cause d’un environnement difficile. Il faut créer des conditions pour stabiliser l’environnement politique pour avoir de la croissance économique, préconise-t-il. Cette stabilité politique tant souhaitée depuis la fin des années 80 et qui semble encore s’éloigner de l’horizon politique.

Outre l’agenda monétaire pro-croissance en train d’être revisité, le gouverneur dit travailler sur la création d’un marché financier susceptible d’amener d’autres types de financement sur le long terme. L’année 2025 s’avère cruciale en ce sens que tous les agents économiques s’attendent à ce qu’elle mettra fin au cycle de déperdition économique et sociale. C’est le vœu le plus cher de la majorité des citoyens haïtiens qui vivent une grande détresse ces dernières années.

2024, l’année de tous les défis pour la BRH

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