Souvent j’ai eu envie de te revoir
Souvent j’ai pensé aller te visiter
Souvent je voudrais mieux te comprendre
Pour mieux te consoler de tes malheurs infinis
Tes misères, tes catastrophes
Les amis m’ont parlé de zenglendos
Ceux qui assassinent leurs frères pour subsister
L’Internet parle de chimères, ces voleurs malfrats
Ceux-là qui n’en peuvent plus contrôler leurs misères
Et que les victimes traitent d’assassins, de voyous
Ceux-là qui demandent à travailler
Ils parlent des gangs des cités ensoleillées
De la ravine tellement grande par la puissance de ses petits
Ils parlent de village du bon Dyé bon
Ils parlent de ces insignifiants
Qui font la pluie et le mauvais temps
Comme s’ils avaient reçu un ordre religieux
On parle de kidnappeurs tueurs sans pitié
Ceux-là qui sont membres du gouvernement parallèle
Ils parlent de méfaits d’armes
Ils parlent d’absence d’eau d’arbres d’électricité
Ils parlent d’impunité, d’irrespect, de viols, de crimes
Ils parlent, parlent, parlent d’indignation
Ils souffrent, pleurent et crient à tue tête
Ils parlent de honte partout où il y a des diasporas
Ils ont crié fort, très, si fort
Que le monde entier est rendu sourd à ta cause
À la misère, à ta gangrène, à tes métastases
Alors
Je me suis procuré des livres
J’ai acheté des journaux
Puis un poste de radio
Des livres qui parlent de Toussaint Louverture
Des livres qui parlent de Jean-Jacques Dessalines
Des livres qui parlent d’Henry Christophe
Des livres qui parlent d’Alexandre Pétion
Des livres écrits depuis le début de ton histoire
Jusqu’à ceux qui traitent de ton histoire d’aujourd’hui
Je les ai lus jusqu’à la dernière ligne
Et puis j’ai aussi acheté des journaux
Le journal d’Haïti en Démarche
Le journal d’Haïti de Demain
Le journal d’Haïti d’hier
Le journal d’Haïti d’aujourd’hui
Le journal d’Haïti de tantôt avant
Le journal d’Haïti d’après
Le journal d’Haïti de maintenant
Le journal d’Haïti de tantôt après
Le journal d’Haïti de jamais
Ils m’ont recommandé
Le journal d’Haïti chérie
Alors qu’il ne se vend plus nulle part
Mensonge et vérité surpris à copuler ensemble
Alors je les ai lus jusqu’aux annonces classées
Ensuite j’ai ouvert la radio et syntonisé
Le poste de la Radio d’Haïti
Le poste de la Radio de Port-au-Prince
Le poste de la Radio de la Lumière
Le poste de la Radio du Soleil
Le poste de la Radio de Kiskéya Bohio
J’ai écouté tous ceux qui ont parlé
Et puis j’ai fermé mes livres
Rangé les journaux
Éteint le poste de radio
Soudain je ne comprends plus rien
C’est comme si je n’avais jamais rien lu
Comme si je n’avais jamais rien entendu
J’ai le tournis
Ma tête tourne
Elle tourne, tourne
J’ai attrapé le vertigo
Paraît-il que je deviens fou?
Deviens-je fou! Vraiment?
Un fou?
Moi ?
Un Haïtien authentique
Depuis tout ce temps temps
Fou?
On aurait dit que la terre a tremblé
Est-ce possible.