Une fenêtre ouverte dans le salon des grands

Islam Louis Etienne La validation des acquis de l’expérience (VAE) est une ouverture faite à tout citoyen quels que soient son âge, son statut et son niveau d’études pour faire valider les acquis de son expérience par l’obtention d’une certification professionnelle. Cette nouvelle expérience est en train de faire son chemin aussi ici en Haïti. C’est une reconnaissance faite par une communauté à un citoyen qui a passé un certain nombre d’années sinon toute sa vie à servir, à lui être utile, à mettre ses connaissances même empiriques à rude épreuve pour résoudre ses problèmes et il le fait de fort belle manière en atteignant les résultats escomptés. Chez nous, le problème se pose à trois niveaux différents. D’abord, il y a des gens qui ont été à l’école et qui pour des raisons diverses n’ont pas pu retirer leur diplôme de technicien. Ensuite ceux qui savent lire et écrire mais qui n’ont pas eu la chance d’aller à l’école pour apprendre un métier. Enfin ceux qui ne savent ni lire ni écrire et qui n’ont jamais fréquenté les bancs de l’école. Dans le cas de la mécanique par exemple, ces trois catégories de techniciens se retrouvent dans les rues et vendent leurs compétences à tout venant. Ils peuvent identifier, diagnostiquer et résoudre efficacement un problème, en faisant, le cas échéant, des interventions majeures à la satisfaction du client uniquement à la lumière de leurs expériences. Néanmoins, ils sont limités et handicapés dans leur fonctionnement par l’absence d’une certification qui atteste justement cette longue pratique. Ils ne peuvent non plus intégrer aucun centre spécialisé de grande envergure qui rentre dans le système classique de management dans lequel la première étape de l’embauche consiste à déposer le CV accompagné de diplôme(s). Généralement on complète l’annonce d'offre d’emploi en précisant que « seuls les candidats ayant présenté un dossier complet seront pris en considération ». Finalement la société haïtienne, à l’image des grandes sociétés des pays du Nord, vient de faire un pas de géant en comblant cette lacune, en reconnaissant la valeur de ces techniciens qui, même sans avoir fréquenté les bancs de l’école ou l’espace universitaire, emmagasinent une somme d’expériences acquises sur le tas dans tous les domaines d’activités, qui les rendent utiles, performants et compétents. Haïti est un pays sous-développé qui se veut émergent en 2030. L’une des caractéristiques des pays sous-développés est l’absence de main-d’œuvre qualifiée, c’est-à-dire des gens formés sur les bancs de l’école pour servir. On a ignoré pendant longtemps la présence, l’importance, l’apport et la connaissance d’une frange de la population qui n’a eu ni la chance, ni l’opportunité d’aller à l’école pour acquérir des connaissances livresques échelonnées sur des années d’études et qui a absorbé un cursus bien défini consacré par un diplôme. La société se découvre plutôt devant ces intellectuels traditionnels en respectant leurs grades, leurs prises de position, leur stratégie de lutte et leur philosophie. Elle les place à une certaine hauteur où il faut soulever la tête pour les entrevoir. Elle les traite avec considération ; ils bénéficient des égards et jouissent de certains privilèges, d’attention soutenue, d’estime et de respect sans bornes parce qu’ils sont détenteurs du savoir, du pouvoir et de la connaissance. Au nom de ce savoir ils décident en dernier ressort en tout et partout, sans tenir compte de cette majorité silencieuse, sans diplôme, qui fonctionne dans leur environnement immédiat à partir de l’observation et de la répétition. Une répétition qui élargit sans cesse ses champs de connaissance et qui lui permet d’améliorer la qualité du service à offrir. Lorsqu’on considère que cette majorité sans diplôme, qui se retrouve partout, s’affirme de jour en jour, produit de plus en plus, s’impose au fil du temps, frappe à grands coups au temple du savoir et de la connaissance en présentant comme billet d’admission la somme des expériences acquises sur le tas sollicitées même par ces intellectuels retors qui jadis les ignoraient, les méprisaient et ne leur accordaient aucune importance dans l’échelle sociale. Cette majorité frappe à grands coups à la porte de ce temple qu’elle a toujours regardé de l’extérieur comme un spectateur qui ne peut payer le prix d’un spectacle. La flamme sacrée et le feu sacré se rencontrent seulement à l’intérieur de ce temple comme une cerise sur un gâteau. Pour une fois elle veut manger une tranche de ce gâteau délicieux et apprécier la saveur de la cerise. Elle croit qu’elle a toujours sa place partout où il y a des hommes, parce qu’elle offre un savoir-faire très achalandé acquis sur le tas par la pratique et l’usage de la vie, et aussi par la pratique des hommes et des choses auxquelles s’ajoutent un savoir théorique. la prise en charge de la majorité sans diplome L’entendement est la faculté des concepts qui a pour fonction d’organiser les facultés de comprendre et de réagir dans un environnement donné. Pour comprendre, il faut ou bien saisir par l’esprit ou bien voir. Si vous fermez les yeux, vous ne verrez absolument rien. Pour voir, il faut d’abord garder les yeux ouverts et pour comprendre, il faut interroger le système et l’évaluer, c’est-à-dire partir du fait singulier pour aller vers l’universel à la recherche du vrai, du beau. La singularité est la manière dont l’universel a été atomisé pour transformer en concepts le vécu des expériences dont elle a été témoin. Ce qui est singulier relève de l’expérience. Toutes nos connaissances dérivent de l’expérience. Notre rapport avec le monde est vulgarisé et médiatisé par nos organes sensoriels et la dimension du sens intime de la théorie. Chacun de nous est un sujet d’histoire, c’est-à-dire un fait réel appréhendé par le sens. La lune a fait germer en nous l’idée du cercle. Le premier sens de l’expérience est la matière. La marchande qui n’a jamais été à l’école pour apprendre les chiffres et les nombres, encore moins les rudiments de calcul, peut facilement distinguer une pièce de 5 gourdes d’une pièce de 50 centimes. Elle arrive à faire les calculs mentaux très rapidement et à remettre de la monnaie sans erreur même si vous achetez une tonne de produits variés avec des prix différents. Elle détient un savoir acquis au fil du temps par l’usage de la vie et ne souffre d’aucune impéritie. Heureusement, l’Université Mont Everest d’Haïti (UMEDH), en partenariat avec l’Université Charles de Gaulle, Lille 3 (France), ont été sensibilisées par la question. Elles l’ont déballée sous toutes ses formes, sous tous ses angles sur la place publique et ont proposé des solutions pratiques pour valider les acquis de l’expérience en Haïti. Deux experts, Francis Danvers et Joseph Saint-Fleur, venus du vieux continent, associés au staff proactif et combien intéressant de l’Université Mont Everest d’Haïti, sous la houlette du recteur Gélin I. Collot et de la doyenne Aurore Dalencourt, ont conduit pendant 4 jours, soit du 30 mars au 2 avril 2015, le séminaire inaugural sur « la validation des acquis de l’expérience et l’orientation professionnelle ». Avec une dextérité, une habileté, une adresse sans pareille, une élégance dans le langage, une profondeur dans les idées comparatives entre les Européens et les Haïtiens, sans le savoir livresque et sans diplôme, une pertinence dans les arguments présentés, ils ont mis à nu les entraves et les barrières, ont analysé les différents cas de figure et ont proposé le processus idéal à mettre en branle, compte tenu de nos spécificités , pour emprunter ce passage obligé qui représente l’une des conditions nécessaires pour motiver et sensibiliser les techniciens qui se trouvent dans cette situation. Ils ont ainsi provoqué un engouement chez les « sans-papiers », les paresseux et les trainards pour régulariser leur situation que ce soit au niveau professionnel, au niveau de la licence ou du master II. De nombreux curieux et incrédules ont pris part à ce séminaire inaugural. L’effectif a dépassé les attentes des organisateurs. En vérité, c’est une expérience à faire et à laquelle il faut donner la plus large diffusion lorsqu’on connaît la quantité de professionnels bloqués pour une certification ou une licence dans un pays où le diplôme passe avant le technicien. L’État haïtien s’est aussi mêlé de la partie. Une loi sur la VAE a été votée et publiée dans le moniteur #179 du vendredi 19 septembre 2014. On attend encore la mise en place et les conditions d’application de cette loi. L’UMEDH offre en attendant un diplôme international en VAE dans des conditions acceptables. Le moment opportun, c’est l’instant présent. Avant, personne ne s’en était occupé, c’était trop tôt. Ce vécu n’avait pas frappé suffisamment notre conscience ; cette plaie n’avait pas suffisamment attiré notre attention pour provoquer une réflexion à la recherche de solutions. Après ce sera trop tard, le temps aura passé. Le passé ne relève pas de l’espace et le présent ne fait que passer. Le passé n’existe pas au passé. Il saisi immédiatement le réel pour construire l’avenir. Ce qui est surtout important, c’est qu’il nous faut réussir à faire réussir. Islam Louis Etienne Avril 2015

Le Nouvelliste
Par Le Nouvelliste
10 avr. 2015 | Lecture : 7 min.
Islam Louis Etienne La validation des acquis de l’expérience (VAE) est une ouverture faite à tout citoyen quels que soient son âge, son statut et son niveau d’études pour faire valider les acquis de son expérience par l’obtention d’une certification professionnelle. Cette nouvelle expérience est en train de faire son chemin aussi ici en Haïti. C’est une reconnaissance faite par une communauté à un citoyen qui a passé un certain nombre d’années sinon toute sa vie à servir, à lui être utile, à mettre ses connaissances même empiriques à rude ép
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